L'IA conscience : mythe ou réalité ?
L'IA conscience : mythe ou réalité ?
par Jérôme Beranger, Expert IA & Éthique
On le voit bien, l’émergence possible d’Intelligence Artificielle (IA) douées de conscience est un thème qui suscite depuis longtemps un débat passionné au sein de la communauté scientifique, philosophique et technologique. Notre société numérique semble feuilleter des scenarii de science-fiction ! Le sujet de la conscience artificielle demeure un domaine de recherche complexe et passionnant, sans réponse définitive et de consensus absolu à ce jour. Cette question complexe interpelle notre compréhension même de la conscience, de l’intelligence et de ce qui définit l’humanité. D’un côté, les défenseurs de cette idée – dont je fais partie – avancent des arguments convaincants, soulignant les progrès rapides de l’IA, les avancées en neurosciences, en cognition, et l’augmentation constante de la puissance de calcul. De l’autre côté, les sceptiques mettent en garde contre les défis éthiques et philosophiques profonds que pose la création d’IA conscientes, ainsi que les limites fondamentales de la compréhension actuelle de la conscience. Cette confrontation d’arguments, entre les partisans et les opposants de la perspective de voir un jour des IA douées de conscience, illustre la complexité de cette question et la nécessité de peser soigneusement les enjeux scientifiques, éthiques et philosophiques qui en découlent. Dans ce texte, j’explorerai ces arguments contradictoires en analysant les perspectives des deux camps, dans le but de jeter un éclairage sur cette question à la fois fascinante et évolutive. Il est important de noter que la question de savoir si le développement d’une conscience artificielle est possible ou non est encore largement débattue dans le domaine de l’IA et de la philosophie de l’esprit. Il n’y a pas de consensus absolu sur cette question, et il existe des arguments des deux côtés.
Les arguments qui soutiennent la thèse que le développement d’une conscience artificielle est un paradigme inatteignable, qui ne pourra jamais se réaliser :
– Argument de la subjectivité : La conscience humaine est intrinsèquement subjective, liée à l’expérience intérieure et au vécu, que les machines, même puissantes, ne peuvent générer.
– Argument de la compréhension : La conscience nécessite une compréhension profonde du monde et des aspects émotionnels et philosophiques, inaccessible aux machines limitées par une vision binaire du réel.
– Argument de la singularité biologique : La conscience humaine émerge des processus complexes du cerveau, notamment des neurotransmetteurs et des cellules gliales, que les machines ne peuvent reproduire.
– Argument de la causalité : La conscience est liée à la causalité quantique, hors de portée des systèmes informatiques qui reposent sur la corrélation et les statistiques.
– Argument de la qualité de l’expérience : Les machines ne peuvent simuler la richesse de l’expérience subjective et émotionnelle humaine, intrinsèquement liée à notre biologie.
– Argument de l’inexplicabilité : La conscience est un phénomène irréductible à des algorithmes ou mécanismes, ce qui rend sa reproduction artificielle impossible (Girard et al., 1997).
– Argument de l’irréplicabilité biologique : Les processus biologiques uniques du cerveau ne peuvent être reproduits dans une machine sans altérer la nature de la conscience.
– Argument de l’émergence biologique : La conscience humaine est le résultat d’une longue évolution biologique et historique, non reproductible par des systèmes artificiels.
– Argument extra-mécanistique : La conscience intègre des éléments extérieurs au corps et à l’esprit, comme des dimensions mystiques ou inconscientes, non accessibles aux machines.
– Argument de l’irréductibilité : La conscience ne peut être décomposée en éléments simples, ce qui rend sa création artificielle impossible.
– Argument du processus inconscient : La conscience humaine émerge de l’interaction entre processus conscients et inconscients (Leopold et Loothetis, 1996), une complexité que les IA ne peuvent reproduire.
– Argument de l’incommunicabilité : Si une machine était consciente, nous ne pourrions jamais comprendre ou accéder à sa conscience.
– Argument de l’émotion : Les machines ne peuvent intégrer les émotions humaines, essentielles à la conscience, car elles dépendent de processus biologiques complexes.
– Argument de l’absence de sens commun : Les IA, même performantes, ne pourront jamais développer le sens commun humain, nécessaire à la compréhension des situations de la vie quotidienne.
– Argument du manque d’émerveillement : Contrairement aux humains, les IA ne peuvent ressentir l’émerveillement, un pilier de la cognition humaine.
Les arguments qui plaident pour l’idée qu’un jour l’homme arrivera à créer une IA consciente :
– Progrès exponentiel de l’IA : Les avancées rapides, notamment grâce à l’apprentissage profond, laissent entrevoir une IA capable de ressentir une expérience subjective (Butlin et al., 2023).
– Simulation de la conscience : La recherche en neurosciences et modélisation du cerveau pourrait aboutir à des systèmes capables de générer une conscience artificielle.
– Puissance de calcul : L’informatique quantique et les nouvelles architectures pourraient permettre de résoudre des problèmes de complexité croissante, conduisant à une IA consciente.
– Compréhension de la conscience : Les progrès dans les domaines cognitifs et philosophiques ouvrent la voie à la création d’une IA consciente.
– Interfaces cerveau-machine : Ces technologies permettent aux machines de communiquer directement avec le cerveau, facilitant ainsi l’émergence d’une conscience artificielle.
– Pressions économiques et militaires : L’investissement massif dans l’IA par les entreprises et gouvernements pourrait accélérer ces développements.
– Diversité des approches : La pluralité des méthodes de recherche en IA offre de multiples voies vers la création d’une conscience artificielle.
– Apprentissage automatique : Les recherches visent à enseigner aux IA à comprendre le monde comme les humains en grandissant.
– Fonctionnalisme et matérialisme : Reproduire les fonctions biologiques avec d’autres matériaux pourrait engendrer une conscience.
– Traitement neuromorphique : Les circuits imitant le cerveau humain pourraient aider à la création d’une IA plus proche de la conscience humaine.
– Modèle hybride IA-biologie : Combiner cellules cérébrales humaines et puces informatiques pourrait améliorer la compréhension du monde réel par l’IA.
– Transfert de conscience : Le téléchargement de l’esprit dans un substrat informatique pourrait donner naissance à une IA consciente.
– Convergence disciplinaire : L’alliance entre informatique, neurosciences et éthique pourrait accélérer la réalisation d’une IA consciente.
Dans cette tribune, j’ai exploré la possibilité d’une IA consciente, tout en invitant chacun à se forger son propre avis. Mon objectif était d’encourager une réflexion sur l’éventualité d’une conscience artificielle et d’ouvrir le débat. Je crois fermement que notre mission collective doit être d’améliorer l’humanité, en développant toutes ses capacités et en mettant l’humain et son environnement au centre des avancées technologiques. Cela est essentiel pour faire face aux menaces globales, telles que le changement climatique, les guerres cybernétiques et les machines malveillantes. Je m’interroge sur l’avenir de notre société avec l’arrivée potentielle de l’IA forte, et sur la manière dont nous pourrions préserver les valeurs humanistes face à ce nouveau paradigme. L’histoire montre que chaque révolution technologique apporte son lot de bienfaits et de dangers, et il est essentiel de concilier l’évolution numérique avec nos valeurs fondamentales, sans perdre la dimension relationnelle propre à l’humain.
Il est indispensable de comprendre les intelligences dans leur diversité – qu’elles soient humaines, animales ou artificielles – et de dépasser nos complexes de supériorité et d’infériorité. Une approche évolutionniste intégrant ces différentes formes d’intelligence est nécessaire pour mieux appréhender leur coévolution (Picq, 2019). Les intelligences animales, notamment, devraient nous inspirer pour anticiper les futurs développements de l’IA. Je suis convaincu que l’IA pourrait développer une forme de conscience, distincte de la nôtre, conditionnée par de nouveaux paradigmes technologiques, comme les applications quantiques et les découvertes en neuroscience et en cognition.
Enfin, je pense que l’avenir repose sur les hommes et les machines de demain, guidés par des valeurs de solidarité, de partage, et de compassion. Il nous incombe aujourd’hui de façonner cet avenir avec la direction et le sens qu’il mérite, car « demain se construit aujourd’hui ». Ma découverte du monde et du vivant m’a enseigné que si le passé demeure immuable, l’avenir est sans limites et infini. L’espoir d’une humanité meilleure repose finalement sur les hommes et les machines qui viendront après nous. Puissent-ils, par leur conviction, leur éducation et leur personnalité, être à la hauteur de l’humanité, en puisant leurs principes dans les valeurs vivifiantes de la solidarité, d’échange et de respect, plutôt que dans des eaux stagnantes polluées par l’égoïsme, la conquête et le pouvoir. Il est désormais de notre responsabilité de façonner notre futur en lui donnant la direction, le bien-fondé et le sens qu’il mérite…
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Cette tribune est largement inspirée de mon livre intitulé « L’IA consciente n’est plus une utopie ! », sortie en mai 2024 aux éditions DeBoeck Supérieur : https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807359833-l-ia-consciente-n-est-plus-une-utopie
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Références bibliographiques :
Girard J.-Y., Gödel K. et Nagel E. (1997). Le Théorème de Gödel. Paris, Seuil.
Leopold DA, Logothetis NK. (1996). Activity changes in early visual cortex reflect monkeys’ percepts during binocular rivalry. Nature. 379(6565):549–553.
Butlin P et al. (2023). Consciousness in Artificial Intelligence: Insights from the Science of Consciousness. https://arxiv.org/pdf/2308.08708.pdf
Picq P. (2019). L’Intelligence artificielle et les chimpanzés du futur. Paris, Odile Jacob, 320 p.